mercredi 23 avril 2008

Ecrire l'histoire de l'occupation de l'Aisne

Pardon d'avance, je vais un peu parler de moi. Je suis enseignant à Soissons depuis près de deux ans et c'est en arrivant dans ce département que j'ai été "happé" par son histoire.

Je souhaite désormais commencer un travail de recherche sur un aspect un peu trop méconnu de cette histoire :
l'occupation de l'Aisne par les Allemands entre 1914 et 1918. Plus précisément ce qui est intéressant d'étudier est le rapport entre les habitants et les nouvelles autorités. L'Occupation telle qu'elle se met rapidement en place en 1940 a-t-elle un précédent semblable ?

Faute de témoins directs, j'ai besoin de documents qui datent de cette période. Alors si vous avez dans vos greniers des carnets, des journaux qui ont été tenus pendant cette période, merci de me contacter (laissez un commentaire ou envoyez un mèl).

Il est temps d'écrire cette page d'histoire de notre département.

Merci d'avance,

vendredi 18 avril 2008

Tichot : le CD... enfin !

J'ai plusieurs fois parlé de Tichot. J'ai déjà dit combien ce travail de réinterprétation des chansons de 14-18 était à la fois nécessaire, inspiré et subtil.
Et bien, ça y est ! Le CD est arrivé ! Et le groupe s'est même offert un lancement de l'album dans les ruines du village de Craonne, le 16 avril dernier (voir les photos).
"C'est à Craonne, sur le plateau / Qu'on doit laisser sa peau". Ces mots ont résonné avec émotion sur cette terre marquée par la douleur et les morts.

Le disque n'est pas seulement un disque mais aussi un beau livre avec des photographies d'archives, des éléments historiques, les paroles des chansons et une très belle correspondance entre un "bonhomme" et son épouse.
Quant aux chansons, j'ai déjà indiqué comment elles montraient que ce qui est appelé "culture de guerre" est très divers : il n'y a pas une mais de multiples perceptions de la guerre.

  1. L'album commence par la fin : un Testament du fantassin, un poème écrit par un combattant, Paul Verlet. L'interprétation est très sobre, comme une confession au début. Ce testament révèle l'obsession de la mort : Paul Verlet imagine sa mort avec les moindres détails et là, la voix de François Guernier prend de l'ampleur comme un cri de désespoir. Puis l'apaisement vient avec le sens de cette mort : "c'était un brave gars, il est mort pour la France !".


  2. Hurtebise, seconde chanson de soldat. Chaque couplet est le prétexte à une nouvelle rime, une nouvelle correspondance avec le lieu d'Hurtebise sur le Chemin des Dames. L'effet est souvent drôle : "Forcément, on y économise / A Hurtebise". Ainsi est décliné chaque aspect de la vie des tranchées, présentée non sans ironie comme une vie d'oisiveté, une vie tranquille. Tichot sert ses paroles avec une mélodie joyeuse.


  3. Le ton est plus grave, la musique plus mélancolique avec Le champ d'honneur, poème de l'anarchiste Eugène Bizeau dont la clairvoyance n'a d'égal que ses qualité littéraires : "Ayant obligé des mains fraternelles / A rougir de sang les fleurs du chemin". La construction du poème se prête bien à la chanson avec des couplets qui prennent la forme de refrain : les premières et dernières phrases de chaque couplet ont la même forme, avec toutefois de légères variations.


  4. Second poème d'Eugène Bizeau, Avant le départ est une condamnation sans appel de la propagande belliciste. Cela est d'autant plus méritoire que le texte a été écrit en 1914 ! Tichot est particulièrement à l'aise dans ce registre : le discours du va-t'en guerre est hurlé tandis que les pensées de Bizeau sont chantées sur un registre plus mélancolique.


  5. On retrouve la chanson du premier album : 1916. Avec une orchestration très différente : la voix se fait plus douce, presque éteinte, comme lassée. Le banjo en revanche introduit une note plus chaleureuse à moins qu'elle ne fasse penser à quelque chose de l'ordre de la marche.


  6. Après le Testament du fantassin, une seconde chanson évoque la foi des combattants : la Prière des ruines de Roland Gaël. Là, on passe dans le registre des professionnels de la chanson. Ces chansons étaient écrites pour l'arrière, le music-hall. La prière des ruines, écrite en 1917, témoigne d'une certaine interrogation face à l'étendue des dégâts : "de mon évangile hommes qu'avez-vous fait ?". Finalement, c'est le sens de la guerre qui est remis en cause. Pas d'ennemis désignés si ce n'est les hommes dans leur globalité. La chanson termine sur une note d'espoir qui n'est pas tant la victoire que le fait de "vivre et travailler en paix".


  7. La roulante est aussi une chanson de chansonnier (Lucien Boyer) datant de 1917. Cependant, elle reprend des thèmes chers aux poilus : l'opposition entre l'arrière ("les nouveaux riches", les "profiteurs") et le front, le souci d'avoir de quoi manger (d'où l'intérêt stratégique de la roulante) et la moquerie envers les députés et les journalistes. Malgré le temps comique du texte, François Guernier a choisi une interprétation davantage mélancolique : comme si celui qui parlait n'était pas un chansonnier mais un soldat accablé.


  8. La chanson de Craonne. Inutile de la présenter. Il s'agit ici de la version notée par Emile Poulaille.


  9. Une chanson de Scotto, dans tradition du music hall : le Cri du poilu. Cette chanson de 1915 révèle la méconnaissance de la vie au front et fait partie à sa manière du bourrage de crâne : "Ils n'pensent plus à rien qu'à tirer sur ces sales Prussiens" (vers que Tichot a préféré modifié). Evidemment, ils "bravent la mitraille". Mais la guerre moderne avec le poids de l'artillerie est méconnue : il n'est question que de mitraille, de flinguots, de pruneaux. Scotto révèle ainsi l'idée que pouvait se faire de la guerre un civil de l'arrière à la seule lecture des journaux et des communiqués.


  10. Dans la Tranchée est aussi une chanson belliciste de Théodore Botrel qui se veut comique : "L'un d'nous est mort et mort joyeux, en s'écriant : "tout est au mieux / Voilà ma tombe toute piochée : dans la tranchée !". Seulement, Tichot l'interprète sur un air de valse triste. Et là, ça met la puce à l'oreille. Elle devient plus une complainte : "alors commencent, sempiternels, les arrosages de leurs schrapnels"


  11. Lettre d'un socialo est une chanson de Montéhus, célèbre pour la Butte Rouge. C'est une chanson de l'Union sacrée, une chanson de circonstance, une chanson de 1914. Il y est même fait référence à une polémique de l'époque :"Qu'on dise à Monsieur Gervais, qu'il garde pour lui son histoire / Nous gardons pour nous la gloire, à nous battre en bons Français". M. Gervais, sénateur, expliquait alors les défaites françaises d'août 1914 par le fait que les régiments du Midi étaient peu vaillants, plutôt enclins à la paresse qu'au combat.


  12. La Ballade des tranchées est une de ces chansons anonymes, nées dans les tranchées en 1916. Si on retrouve l'ironie des poilus (comme dans Hurtebise), la mort et la violence y sont très présentes et contrastent avec la belle promenade des temps de paix. Le ton est volontiers patriotique : "Tuer des bandits n'est pas un crime". L'interprétation y est sobre, le texte est mis en valeur dans toute sa complexité.


  13. On retrouve Eugène Bizeau avec Leur Idéal, titre qui résume parfaitement la chanson. Il s'agit d'une interrogation sur le sens de la guerre face à la violence de la guerre ("la charge folle vers les canons meurtriers") et face aux remises en cause des principes démocratiques ("c'est bâillonner la justice"). La voix de François Guernier prend de l'ampleur à mesure que la colère monte...


  14. Les poilus est une autre chanson de music-hall de 1915, toujours dans la veine comique et belliciste. Elle popularise le terme de poilus qui se diffuse alors dans les journaux. L'interprétation joue sur la dissonance avec une voix imprégnée de violence et un piano qui joue dans les basses comme pour annoncer une menace. C'est le discours belliciste qui est ainsi mis à distance par Tichot.


  15. Chanson légère Choisis Lison, est parfaitement assumée par Tichot. Ecrite par le chansonnier Louis Bousquet, elle est en fait une déclinaison de tous les lieux de combats de la guerre de 1914 à 1917 (date d'écriture).


  16. Fleurs de tranchées est une jolie fleur de chanson née dans les tranchées sur l'air du Temps des Cerises. Trois couplets pour trois fleurs et une manière de décliner le temps qui passe. Malgré le message patriotique ("et toutes ces fleurs, aux couleurs de France / Feront un bouquet, frais et glorieux"), on peut noter que mois après mois la confiance semble s'émousser : le narrateur n'est pas certain d'atteindre le mois de juillet, mois où il est question de sang et de mort.


  17. Chanson assez célèbre du duo Boyer/Bruant, Le bois Leprêtre est un exemple de discours très belliciste, que l'on retrouve alors un peu partout dans la presse : "Dieu pour chaque poilu qui meurt / Jette des légions d'honneur". Image surprenante que celle de Dieu distribuant les légions d'honneur (n'est-ce pas le rôle du président de la République ?) mais qui est typique d'un discours d'Union Sacrée : c'est la réconciliation de l'Eglise et de la République. Malgré les allusions xénophobes, cette chanson interprétée avec sobriété est surprenante par la crudité des faits et des images qu'elle évoque : "Tous les arbres y sont hachés / et des bavarois desséchés / Là-haut sont encore accrochés". Le quotidien des soldats est assez bien connu : il y est question des "totos", c'est-à-dire des poux, véritables compagnons des poilus. Il faut dire qu'elle date de 1916 : la violence de la guerre est mieux connue, même à l'arrière.
Bref, il est urgent de se procurer ce livre-disque : il est d'ores et déjà en vente à la Caverne du dragon. Davantage de renseignements : sur le site officiel de Tichot et sur leur page MySpace

mercredi 16 avril 2008

Reconnaître les soldats condamnés pour l'exemple

16 avril. Journée du Poilu à Craonne.

Journée anniversaire du déclenchement de l'offensive Nivelle sur le Chemin des Dames.
Le réveil a sonné de bonne heure ce matin. Rendez-vous était donné à 5h30 devant la mairie de Craonne pour une randonnée en mémoire de tous les combattants impliqués dans l'offensive.

6 h. Tirs de feux d'artifices le long du Chemin des Dames, comme des tirs d'artillerie. Comme ces tirs d'artillerie qui ont donné le coup d'envoi de l'offensive. Coup d'envoi de la randonnée sur les traces des régiments qui ont réussi à grignoter 2 km de territoire, en 3 semaines et au prix de milliers de victimes.
Randonnée d'abord sur les traces du 1er régiment d'infanterie (R.I.), du bois de Beaumarais aux abords de l'ancien Craonne. Puis randonnée sur les traces du 18 ème R.I. parmi les entrées de caves de l'ancien village, jusqu'à la montée sur le plateau de Californie. Paysage marqué par cette guerre industrielle : briques, tuiles de Craonne, tracé des tranchées, vestiges des bunkers allemands. Les hommes et les femmes sont aussi marqués par la guerre comme l'a souligné Noël Genteur en lisant témoignages et poèmes des combattants, en racontant ses rencontres avec les familles des soldats.

11 h, session extraordinaire du Conseil Général de l'Aisne

Le débat fut riche et constructif. L'enjeu : rendre leur dignité aux soldats condamnés pour l'exemple, une reconnaissance à l'égal de tous les combattants.

Yves Daudigny, président du Conseil général de l'Aisne, a insisté qu'il s'agissait d'une question d'apaisement national. Evidemment, la question des fusillés ne doit pas être la seule grille de lecture de la Guerre mais c'est un objet historique à part entière. L'objectif est donc d'éviter la polémique qui avait suivi la déclaration de Lionel Jospin en 1998.
Les conseillers généraux de la majorité (MM. Genteur et Lanouilh) ont fait appel aux valeurs républicaines et aux sentiments de chacun de leurs collègues. Ils se sont appuyés sur des témoignages pour expliquer la situation de ces combattants et de leur famille. Leurs prises de parole ont sans aucun doute remis de l'émotion dans la discussion.
Les conseillers généraux de l'opposition (MM. Rigaud et Meura) regrettaient qu'on mette tous les combattants au même niveau. Selon eux, les mérites ne sont pas les mêmes selon qu'on se révolte ou que l'on obéisse. Les condamnés pour l'exemple peuvent en revanche être considérés comme des victimes de la guerre.

Après une interruption de séance, un consensus est trouvé. Le terme de combattant est remplacé par celui de soldat. Le vœu finalement adopté à l'unanimité est ainsi formulé :

"Le Conseil général de l'Aisne invite solennellement la République française à prendre, dans la générosité qu'elle doit à ses enfants, et à l'occasion du 90ème anniversaire de la fin de la Grande Guerre, la décision de reconnaître les soldats condamnés pour l'exemple comme des soldats de la Grande Guerre à part entière, comme des Poilus comme les autres, de façon à permettre que leurs noms puissent être légitimement inscrits sur les monuments aux morts des communes de France, à la demande de leurs familles ou des associations et collectivités concernées".


Le débat sur les condamnés pour l'exemple ne recouvre donc plus le clivage gauche-droite comme ce fut le cas en 1998.
Il semble s'esquisser un consensus , du moins local, à défaut d'être national.
Reste à savoir quelle sera la réaction de l'Elysée.

La polémique des historiens

Si polémique il y a, elle n'est plus vraiment politique, elle oppose les historiens. Certains (Jean-Jacques et Annette Becker, Stéphane Audouin-Rouzeau, Christophe Prochasson) considèrent les faits de refus comme minoritaires : ils ne présenteraient pas d'intérêt historique. A cette Ecole (dite "Ecole de Péronne"), qui a les faveurs des médias et des honneurs académiques, s'oppose des historiens (regroupés dans l'association CRID 14-18 dont font partie Nicolas Offenstadt, Frédéric Rousseau ou Denis Rolland) pour qui tout peut faire Histoire. Les attitudes minoritaires peuvent avoir plus de pertinence, d'intérêt historique que certaines attitudes majoritaires : leurs conséquences peuvent être plus grandes.

D'un côté des historiens qui considèrent qu'on en fait trop. De l'autre, des historiens qui continuent de creuser le sujet pour mieux comprendre les formes de contraintes et de répression au sein d'une armée républicaine. L'enjeu est en fait de comprendre ce qui a pu pousser les soldats à tenir pendant 4 ans.

mercredi 9 avril 2008

Bataille mémorielle, bataille politique

Nous avons déjà montré que le gouvernement envisageait la Première guerre mondiale comme un moment d'unité nationale, de ferveur patriotique, un moment héroïque pour la Nation. Le rapport Becker entreprenait un véritable retour en arrière mémoriel tandis que l'hommage à Lazare onticelli apparaît comme un moment de glorification, de construction d'une histoire héroïque, comme le montre N. Offenstadt (sur le site du CRID 14-18 et du CVUH).

La guerre comme un grand élan patriotique ?

A rebours de l'opinion publique et des fictions récentes, les cérémonies officielles renouent avec une lecture de la guerre comme un grand élan patriotique pour la défense de la Nation.
Cela apparaît d'autant plus étrange qu'à l'heure de la construction européenne, ce conflit européen - et plus particulièrement l'affrontement franco-allemand - semble incompréhensible, voire absurde.
Cela apparaît d'autant plus étrange que des œuvres de fiction et les travaux historiques ont, depuis des années, mis en avant le vécu des soldats : les situations et les opinions sont très contrastées et évoluent alors que la guerre s'éternise. L'histoire ne s'écrit pas uniquement à partir des textes des généraux et des hommes politiques, mais aussi à partir du témoignage du simple soldat.
Cela apparaît d'autant plus étrange qu'en 1998 déjà, Lionel Jospin avait insisté sur la répression au sein de l'armée française en prenant l'exemple des fusillés.

Reconnaître les soldats condamnés pour l'exemple

Dans ce contexte-là, la Première guerre mondiale devient un nouvel enjeu politique, un lieu d'affrontement gauche-droite.
Et c'est dans ce contexte-là que le Conseil général de l'Aisne souhaite adopter un voeu invitant la France à "reconnaître les soldats condamnés pour l'exemple comme des combattants de la Grande Guerre à part entière" et à inscrire leurs noms sur les monuments aux morts. "Le conseil général de l'Aisne invite solennellement la République française à prendre (...) la décision de reconnaître les soldats condamnés pour l'exemple comme des combattants de la Grande Guerre à part entière, (...) de façon à permettre que leurs noms puissent être légitimement inscrits sur les monuments aux morts". Ce vœu doit être discuté et voté le 16 avril (tiens, tiens...).
Ici, pas de sens général donné à la guerre mais une attention au soldat... une autre forme d'héroïsation ? Pas tout à fait, il s'agit plutôt d'établir une égalité de "traitement mémoriel" entre tous les soldats, qu'ils se soient révoltés ou pas. Cela met évidemment en lumière la diversité des parcours et des attitudes dans la guerre.

D'un côté, donc, la droite gouvernementale reprend le thème du "grand élan patriotique"; de l'autre, la gauche locale souhaite reprendre le thème des fusillés comme symbole d'une injustice et d'une répression démesurée au sein de la République. On renoue donc avec un affrontement mémoriel digne de 1998, avec un débat idéologique qui peut même faire penser à l'Affaire Dreyfus.

Reste à savoir ce que fera la droite locale... réponse le 16 avril