samedi 1 décembre 2007

Tichot : les mots à vif

Jeudi soir à Tergnier, Tichot redonne de la vie, de la voix et de la musique aux mots de 14-18. Tichot, c'est un trio : Camille au piano et au tuba, Caro à l'accordéon et au xylo, François à la guitare, au banjo et au chant. Le groupe avait déjà ressuscité les chansons des tranchées et de l'arrière cet été en sillonnant le Chemin des Dames. Mais là ce qui était présenté, c'est l'aboutissement d'un travail d'un an, de recherche et de vérification de textes, de composition ou d'adaptation des mélodies, et un gros travail d'arrangement. Arrangements qui ont été revus et soignés depuis cet été. La musique est d'abord là pour servir la voix, mettre en valeur les mots. Mais elle est aussi porteuse de sens : l'accordéon est par excellence l'instrument d'une musique populaire, d'une musique de rue mais c'est un instrument que l'on a pu aussi retrouver dans les tranchées. Le tuba renvoie davantage aux harmonies et fanfares militaires, il est souvent utilisé par le groupe comme un contrepoint ironique tandis que le piano rappelle les ambiances music-hall de l'arrière.

Le répertoire est assez varié, l'image de la guerre qui en ressort est un kaléidoscope de visions personnelles variant selon que l'auteur est de l'arrière (les chanteurs de music-hall comme Vincent Scotto) ou sur le front (chansons écrites dans les tranchées) et selon la date d'écriture : les chansons du début de la guerre parlent davantage de patrie et de victoire.

  • Le spectacle est "encadré" par des poèmes d'Eugène Bizeau. Il s'agit d'un vigneron et poète anarchiste dont les oeuvres sont des dénonciations de la guerre (Le Champ d'honneur) et du discours belliciste (Avant le départ) écrites avec une plume précise et lyrique à la fois. Il n'est pas sur le front, étant réformé en 1914, mais publie ses poèmes dans des revues anarchistes pendant la guerre.

  • Tichot reprend aussi des chansons de music-hall écrites par des "professionnels de la profession" à l'arrière. On y retrouve des noms comme Vincent Scotto (Le cri du poilu), Lucien Boyer (La roulante, Au Bois Leprêtre), Théodore Botrel (Dans la tranchée), Louis Bousquet (Choisis Lison). Ce sont ces chansons qui sont les plus imprégnées par ce qui a été appelé la "culture de guerre" et dont l'exemple le plus caricatural est Botrel dont Pierre Desproges a popularisé Ma p'tite Mimi. Tichot nous fait découvrir un autre joyau de la propagande la plus imbécile avec Les Poilus de Michel Carré. Sous la plume des chansonniers, l'Allemand est un personnage récurrrent en tant qu'ennemi qu'il faut abattre comme dans Le Cri du Poilu :

    Ils n'pensent plus à rien
    Qu'à tirer sur ces sales prussiens

Autre signe d'une adhésion à la guerre, La Lettre d'un socialo est indissociable du contexte : c'est le début de la guerre et Montéhus veut légitimer le patriotisme d'un socialiste comme lui.
L'intelligence de Tichot est d'interpréter ces chansons patriotiques ou va-t'en-guerre avec ironie, avec des arrangements qui insistent sur la mélodie entraînante, d'où un contraste saisissant avec des paroles guerrières. Mais l'ironie est aussi présente dans les textes, en particulier dans des textes postérieurs à 1914. La victoire n'arrivant pas, il faut trouver un autre angle pour évoquer la guerre. Scotto, Boyer et Botrel s'attachent ainsi à tourner en dérision les conditions matérielles de ce nouveau type de conflit qu'est la guerre de tranchées. Ils se moquent gentiment du manque de femmes, de la promiscuité, de l'intérêt stratégique de la roulante. Boyer va même jusqu'à se moquer des parlementaires qui font leur petite tournée du front sans se rendre compte de la réalité de la vie des soldats (La roulante).

  • Enfin, Tichot prête sa voix aux soldats eux-mêmes. Les soldats ont très rapidement en mots et en musiques leurs impressions de la guerre. Comme l'ont noté Rémy Cazals et Frédéric Rousseau (14-18 : cri d'une génération, Privat, 2001), le combattant a un besoin de dire la guerre : nombreux sont ceux qui tiennent des carnets, écrivent à leur famille , d'autres encore participent aux journaux de tranchées ou écrivent des poèmes. Tichot réinterprète ces chansons de tranchées plus ou moins connues : La Chanson de Craonne bien entendu (dans la version transcrite par Emile Poulaille), A Hurtebise, La Ballades des tranchées... Mais le groupe s'est attaché aussi à mettre en musique des poèmes peu connus qui donnent des visions très contrastées du conflit. La prière des ruines est imprégnée de mysticisme, Fleurs de tranchées délivre un message très patriotique tandis que la Chanson de Craonne a une portée révolutionnaire. Les chansons de tranchée évoquent avec plus de précision la nouvelle forme de guerre et la vie dans les tranchées (La ballades des tranchées, Hurtebise). Si la mort et la menace de mort (les balles qui sifflent et les obus qui tombent) sont très présentes, l'Allemand apparait peu comme si cette menace était impersonnelle comme si l'ennemi était invisible. Le ton est plus grave, la dérision moins prononcée, les conditions de vie font moins rire, sauf dans la chanson Hurtebise...

On y va, doucement, en douceur
Avec un battement de coeur
Car des balles, on craint la traîtrise
A Hurtebise !
Elles passent dans l’air en ronflant
Froufroutant, doucement en sifflant
Des balles, c’est l’aubade exquise
A Hurtebise !

En définitive, ces mots chantés, mis en musique, ont redonné corps à des souffrances, des espoirs mais aussi des rires venus des tranchées. Des mots, de la musique et d'autres maux encore... Merci Tichot !

Pour aller plus loin :

  • Le site de Tichot évidemment où des extraits de chanson sont en écoute

  • L'album devrait sortir en janvier

  • Le 1er album de Tichot, Approchez, est toujours disponible. Vous y découvrirez la très belle chanson 1916 qui figurera aussi dans le prochain album. C'est une chanson sans refrain, sans rengaine, mais dont chaque couplet est écrit comme une lettre d'un soldat à sa femme. Une tranche d'une vie en première ligne découpée avec des mots ciselés et pourtant écorchés. Les journées s'écoulent lentement, la nostalgie et le désespoir grandissent à mesure que l'on s'enfonce dans cet hiver de 1916. Les couleurs comme les rêves disparaissent. Finalement, c'est la vie qui pas à pas se retire... Un beau travail d'artiste, de poète et d'interprète.

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Tichot, pardon! veuillez m'excuser de mon étourderie....

Françoise

Anonyme a dit…

J'ai acheté ce CD lors du passage de Tichot au Tréport en Mars2009 et chaque fois que je l'écoute je frémis, submergée par les émotions qui jaillissent des textes, de la musique et de la voix. Ce disque est magnifique. Merci de l'avoir dédié à tous nos Bonhommes !