Le contexte
Cette commande du Conseil Général s'ajoute aux dernières oeuvres contemporaines qui marquent le regain d'intérêt pour ce moment de l'histoire : sculpture de Haïm Kern ("Ils n'ont pas choisi leur sépulture") sur le plateau de Californie et trois toiles de Tardi en mairie de Craonne.
Mais cette oeuvre est la première concernant les troupes coloniales, cette "force noire" pour reprendre les termes du général Mangin, qui sont venues combattre dans le froid pour le compte de la puissance coloniale. Ces troupes ont été durement éprouvées lors de l'offensive : la 10e division d'infanterie coloniale sous les ordres du général Marchand est chargée d'attaquer en première ligne sur le point le plus stratégique du Chemin : à Hurtebise. Les bataillons de première ligne perdent les trois quarts de leurs effectifs (voir à ce propos l'exposition présentée dans la Caverne du dragon).
L'oeuvre
Le dispositif comprend 9 sculptures élancées mais imposantes éparpillées sur le flanc du plateau à proximité de la route, aux abords de la Caverne du Dragon. On dirait des sentinelles qui gardent les premières lignes françaises à moins qu'elles ne soient dans l'attente de l'assaut. L'une de ces sentinelles est à demi enterrée dans un semblant de tranchée. Les sculptures ont été travaillées dans du bois calciné : ces masses semblent issues du charbon. Les silhouettes sont justes suggérées, pas de visage : ces 9 tirailleurs ne peuvent être identifiés, ce sont 9 figures universelles du tirailleur.
L'ensemble tranche sur l'horizontalité du plateau comme 9 brûlures encore bien présentes, mais pourtant muettes. Par leur dimension aussi bien que par leur aspect universel, ces sculptures apparaissent aussi insaisissables. Le secret de leur souffrance reste entier.
La cérémonie
La cérémonie mélangeait protocole et mise en scène. Elle a débuté par la présentation des armes au son des hymnes. Elle s'est poursuivie par les discours officiels : le discours du président du Conseil général tranchait avec celui du préfet. M. Daudigny, président du Conseil général, a rappelé le sacrifice des tirailleurs et l'ingratitude de l'Etat français en citant les mots de Nivelle : "Il faut y aller avec tous les moyens et ne pas ménager le sang noir pour conserver un peu de blanc".
M. Fratacci, préfet de l'Aisne, a soigneusement évité d'aborder le sujet de la mémoire de la colonisation et a insisté sur l'amitié avec le Sénégal en prenant l'exemple des accords pour limiter l'immigration.
La mémoire de la guerre et de la colonisation est encore loin d'être apaisée...
La cérémonie prit un tour plus émouvant avec la lecture d'un poème de Léopold Sédar Senghor sur ces tirailleurs (poème Hosties noires). A la voix du comédien Didier Perrier s'est mêlée celle du saxophone de Manu Dibango avant que le public ne puisse déambuler entre les oeuvres :
"Ecoutez-moi, Tirailleurs Sénégalais, dans la solitude de la terre noire et de la mort
Dans votre solitude sans yeux, sans oreilles, plus que dans ma peau sombre au fond de la Province
Sans même la chaleur de vos camarades couchés tout contre vous, comme jadis dans la tranchée, jadis dans les palabres du village
Ecoutez-moi, tirailleurs à la peau noire, bien que sans oreilles et sans yeux dans votre triple enceinte de nuit."
Léopold Sédar Senghor, Hosties Noires, 1938
Pour en savoir plus :
- Le dossier de presse du Conseil général très complet d'un point de vue historique.
- L'article de l'Union.
- Se méfier de l'article de la LDH de Toulon. Il semble que l'auteur soit mal informé (le maire de Craonne était évidemment prévenu longtemps à l'avance de cette inauguration puisqu'il est aussi conseiller général et qu'à ce titre, il a participé à l'organisation de la cérémonie).
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