vendredi 18 avril 2008

Tichot : le CD... enfin !

J'ai plusieurs fois parlé de Tichot. J'ai déjà dit combien ce travail de réinterprétation des chansons de 14-18 était à la fois nécessaire, inspiré et subtil.
Et bien, ça y est ! Le CD est arrivé ! Et le groupe s'est même offert un lancement de l'album dans les ruines du village de Craonne, le 16 avril dernier (voir les photos).
"C'est à Craonne, sur le plateau / Qu'on doit laisser sa peau". Ces mots ont résonné avec émotion sur cette terre marquée par la douleur et les morts.

Le disque n'est pas seulement un disque mais aussi un beau livre avec des photographies d'archives, des éléments historiques, les paroles des chansons et une très belle correspondance entre un "bonhomme" et son épouse.
Quant aux chansons, j'ai déjà indiqué comment elles montraient que ce qui est appelé "culture de guerre" est très divers : il n'y a pas une mais de multiples perceptions de la guerre.

  1. L'album commence par la fin : un Testament du fantassin, un poème écrit par un combattant, Paul Verlet. L'interprétation est très sobre, comme une confession au début. Ce testament révèle l'obsession de la mort : Paul Verlet imagine sa mort avec les moindres détails et là, la voix de François Guernier prend de l'ampleur comme un cri de désespoir. Puis l'apaisement vient avec le sens de cette mort : "c'était un brave gars, il est mort pour la France !".


  2. Hurtebise, seconde chanson de soldat. Chaque couplet est le prétexte à une nouvelle rime, une nouvelle correspondance avec le lieu d'Hurtebise sur le Chemin des Dames. L'effet est souvent drôle : "Forcément, on y économise / A Hurtebise". Ainsi est décliné chaque aspect de la vie des tranchées, présentée non sans ironie comme une vie d'oisiveté, une vie tranquille. Tichot sert ses paroles avec une mélodie joyeuse.


  3. Le ton est plus grave, la musique plus mélancolique avec Le champ d'honneur, poème de l'anarchiste Eugène Bizeau dont la clairvoyance n'a d'égal que ses qualité littéraires : "Ayant obligé des mains fraternelles / A rougir de sang les fleurs du chemin". La construction du poème se prête bien à la chanson avec des couplets qui prennent la forme de refrain : les premières et dernières phrases de chaque couplet ont la même forme, avec toutefois de légères variations.


  4. Second poème d'Eugène Bizeau, Avant le départ est une condamnation sans appel de la propagande belliciste. Cela est d'autant plus méritoire que le texte a été écrit en 1914 ! Tichot est particulièrement à l'aise dans ce registre : le discours du va-t'en guerre est hurlé tandis que les pensées de Bizeau sont chantées sur un registre plus mélancolique.


  5. On retrouve la chanson du premier album : 1916. Avec une orchestration très différente : la voix se fait plus douce, presque éteinte, comme lassée. Le banjo en revanche introduit une note plus chaleureuse à moins qu'elle ne fasse penser à quelque chose de l'ordre de la marche.


  6. Après le Testament du fantassin, une seconde chanson évoque la foi des combattants : la Prière des ruines de Roland Gaël. Là, on passe dans le registre des professionnels de la chanson. Ces chansons étaient écrites pour l'arrière, le music-hall. La prière des ruines, écrite en 1917, témoigne d'une certaine interrogation face à l'étendue des dégâts : "de mon évangile hommes qu'avez-vous fait ?". Finalement, c'est le sens de la guerre qui est remis en cause. Pas d'ennemis désignés si ce n'est les hommes dans leur globalité. La chanson termine sur une note d'espoir qui n'est pas tant la victoire que le fait de "vivre et travailler en paix".


  7. La roulante est aussi une chanson de chansonnier (Lucien Boyer) datant de 1917. Cependant, elle reprend des thèmes chers aux poilus : l'opposition entre l'arrière ("les nouveaux riches", les "profiteurs") et le front, le souci d'avoir de quoi manger (d'où l'intérêt stratégique de la roulante) et la moquerie envers les députés et les journalistes. Malgré le temps comique du texte, François Guernier a choisi une interprétation davantage mélancolique : comme si celui qui parlait n'était pas un chansonnier mais un soldat accablé.


  8. La chanson de Craonne. Inutile de la présenter. Il s'agit ici de la version notée par Emile Poulaille.


  9. Une chanson de Scotto, dans tradition du music hall : le Cri du poilu. Cette chanson de 1915 révèle la méconnaissance de la vie au front et fait partie à sa manière du bourrage de crâne : "Ils n'pensent plus à rien qu'à tirer sur ces sales Prussiens" (vers que Tichot a préféré modifié). Evidemment, ils "bravent la mitraille". Mais la guerre moderne avec le poids de l'artillerie est méconnue : il n'est question que de mitraille, de flinguots, de pruneaux. Scotto révèle ainsi l'idée que pouvait se faire de la guerre un civil de l'arrière à la seule lecture des journaux et des communiqués.


  10. Dans la Tranchée est aussi une chanson belliciste de Théodore Botrel qui se veut comique : "L'un d'nous est mort et mort joyeux, en s'écriant : "tout est au mieux / Voilà ma tombe toute piochée : dans la tranchée !". Seulement, Tichot l'interprète sur un air de valse triste. Et là, ça met la puce à l'oreille. Elle devient plus une complainte : "alors commencent, sempiternels, les arrosages de leurs schrapnels"


  11. Lettre d'un socialo est une chanson de Montéhus, célèbre pour la Butte Rouge. C'est une chanson de l'Union sacrée, une chanson de circonstance, une chanson de 1914. Il y est même fait référence à une polémique de l'époque :"Qu'on dise à Monsieur Gervais, qu'il garde pour lui son histoire / Nous gardons pour nous la gloire, à nous battre en bons Français". M. Gervais, sénateur, expliquait alors les défaites françaises d'août 1914 par le fait que les régiments du Midi étaient peu vaillants, plutôt enclins à la paresse qu'au combat.


  12. La Ballade des tranchées est une de ces chansons anonymes, nées dans les tranchées en 1916. Si on retrouve l'ironie des poilus (comme dans Hurtebise), la mort et la violence y sont très présentes et contrastent avec la belle promenade des temps de paix. Le ton est volontiers patriotique : "Tuer des bandits n'est pas un crime". L'interprétation y est sobre, le texte est mis en valeur dans toute sa complexité.


  13. On retrouve Eugène Bizeau avec Leur Idéal, titre qui résume parfaitement la chanson. Il s'agit d'une interrogation sur le sens de la guerre face à la violence de la guerre ("la charge folle vers les canons meurtriers") et face aux remises en cause des principes démocratiques ("c'est bâillonner la justice"). La voix de François Guernier prend de l'ampleur à mesure que la colère monte...


  14. Les poilus est une autre chanson de music-hall de 1915, toujours dans la veine comique et belliciste. Elle popularise le terme de poilus qui se diffuse alors dans les journaux. L'interprétation joue sur la dissonance avec une voix imprégnée de violence et un piano qui joue dans les basses comme pour annoncer une menace. C'est le discours belliciste qui est ainsi mis à distance par Tichot.


  15. Chanson légère Choisis Lison, est parfaitement assumée par Tichot. Ecrite par le chansonnier Louis Bousquet, elle est en fait une déclinaison de tous les lieux de combats de la guerre de 1914 à 1917 (date d'écriture).


  16. Fleurs de tranchées est une jolie fleur de chanson née dans les tranchées sur l'air du Temps des Cerises. Trois couplets pour trois fleurs et une manière de décliner le temps qui passe. Malgré le message patriotique ("et toutes ces fleurs, aux couleurs de France / Feront un bouquet, frais et glorieux"), on peut noter que mois après mois la confiance semble s'émousser : le narrateur n'est pas certain d'atteindre le mois de juillet, mois où il est question de sang et de mort.


  17. Chanson assez célèbre du duo Boyer/Bruant, Le bois Leprêtre est un exemple de discours très belliciste, que l'on retrouve alors un peu partout dans la presse : "Dieu pour chaque poilu qui meurt / Jette des légions d'honneur". Image surprenante que celle de Dieu distribuant les légions d'honneur (n'est-ce pas le rôle du président de la République ?) mais qui est typique d'un discours d'Union Sacrée : c'est la réconciliation de l'Eglise et de la République. Malgré les allusions xénophobes, cette chanson interprétée avec sobriété est surprenante par la crudité des faits et des images qu'elle évoque : "Tous les arbres y sont hachés / et des bavarois desséchés / Là-haut sont encore accrochés". Le quotidien des soldats est assez bien connu : il y est question des "totos", c'est-à-dire des poux, véritables compagnons des poilus. Il faut dire qu'elle date de 1916 : la violence de la guerre est mieux connue, même à l'arrière.
Bref, il est urgent de se procurer ce livre-disque : il est d'ores et déjà en vente à la Caverne du dragon. Davantage de renseignements : sur le site officiel de Tichot et sur leur page MySpace

4 commentaires:

Anonyme a dit…

Vous êtes le premier site que je trouve où vous parler de la chanson "fleurs de tranchées" sur l'air du temps des cerises. je recherche cette chanson depuis longtemps, ma mère aimait la chanter et j'aimerai retrouver les paroles ainsi que leur auteur. merci pouvez vous m'aider

salson a dit…

L'auteur de la chanson est, semble-t-il, demeuré inconnu comme pour beaucoup de chansons de tranchée. Les paroles de la chanson sont en revanche dans le livre-CD de Tichot que vous pouvez commander sur leur site. Comme ça, vous pourrez même écouter la chanson...

Anonyme a dit…

bonjour
je m 'intéresse à cette auteur et cherche une chanson sur la guerre et plus particulièrement l violence de masse, les bombardements. Auriez vous des références( guerre 14-18)
merci

salson a dit…

Des chansons sur la violence de masse, il y en a eu et il y en a encore.
Dans l'album, Tichot reprend par exemple le Bois Leprêtre qui évoque des "Bavarois desséchés" sur des "arbres hachés". Il interprète également un poème d'Eugène Bizeau dans lequel le poète se révolte contre les destructions entrainées par la guerre.Le ton est plus optimiste et mystique dans "la prière des ruines" :
"Auprès d'un carrefour où le canon fit rage / Abattant et nivelant tout / Comme par un miracle en ce désert sauvage / Un calvaire est resté debout".
En espérant que cela peut vous être utile.